
Un week-end au goût de terroir
Il y avait de la vie, ce week-end, à Moissac. Le soleil revenu, a attiré sur les berges du Tarn des centaines de curieux. La Fête des fruits et saveurs battait son plein : odeurs de foin, éclats de rires d’enfants, et grappes dorées qui brillaient sur les stands comme des bijoux d’automne. La 34ᵉ édition de la Fête des fruits et saveurs a tenu toutes ses promesses : une vitrine du terroir, mais aussi une plongée dans les forces et fragilités d’un territoire qui se raconte à travers son agriculture.
La tradition du pied de vigne : planter pour transmettre
La journée avait débuté par un rituel cher aux Moissagais : la remise d’un pied de vigne de chasselas aux nouveau-nés de l’année. Romain Lopez, maire de la ville, n’a pas manqué de le rappeler : « Ce pied de vigne grandira avec vos enfants. C’est le signe de l’enracinement, d’une identité. Et au-delà, c’est une transmission : celle des valeurs agricoles et culturelles auxquelles nous tenons tant. »
Le chasselas, reconnu en Europe et au-delà, était au centre du discours : un « trésor », selon le maire, que les petits Moissagais doivent apprendre à aimer pour devenir les meilleurs ambassadeurs de ce grain doré.



Les éleveurs en première ligne
Sur l’esplanade, les bêtes ont attiré les regards autant que les grappes dorées. Les éleveurs de Moissac avaient amené leurs plus beaux spécimens : ânes, chevaux, vaches Limousines, Blondes d’Aquitaine, Salers croisées blanc-bleu, brebis et chèvres. Mais c’est la vache Black Angus suitée de Christian Caulet qui a attiré tous les regards. L’éleveur, figure bien connue du canton, rappelait avec une pointe de gravité : « Il reste cinq éleveurs bovins dans le canton de Moissac. »
Guidant les officiels parmi les enclos, il représentait également l’Association festive et récréative du 82 faisant la promotion de l’élevage. Cette visite guidée avait des airs de plaidoyer. Derrière les sourires, on percevait l’inquiétude : la déprise agricole est bien là, et elle interroge l’avenir de nos campagnes.









Quand l’art s’invite dans la fête : une fresque au goût de vigne
La fête, ce n’était pas que du bétail et des stands. L’artiste Julien de Halltimes Studio, bombes et pinceaux en main, a donné vie à une fresque en direct. « Je la compose comme une toile », expliquait-il. Le thème ? Le chasselas, évidemment. Graphismes stylisés, patchwork de couleurs en écho aux vitraux de l’abbaye Saint-Pierre. Un clin d’œil à la vigne, mais aussi à la mémoire locale.



Le lycée agricole de Moissac : un maillon essentiel de ce paysage moissagais
Le lycée agricole de Moissac, avec ses professeurs et ses élèves, était présent et tenait lui aussi à montrer ses forces. La directrice, Martine Blanc, rappelait avec fierté : « Nous formons les générations futures, celles qui aiment la conduite, le sport, la mécanique, mais surtout le travail en extérieur. »
Le message était clair : le lycée est un maillon essentiel de ce paysage moissagais. On y apprend autant la récolte de fruits que la gestion des céréales, les nouvelles techniques agricoles comme les contraintes financières, sans oublier les enjeux cruciaux liés à l’eau. « Si on est content de se nourrir localement et sainement, il faut trouver les acteurs du territoire », insistait-elle. Leurs présentations, réalisées dans le cadre d’un projet global d’aménagement, avaient ce petit goût de symbole.



Les discours officiels : entre fierté et inquiétude
L’après-midi, les discours se sont enchaînés, mais celui du maire a marqué les esprits par son franc-parler. Avec fierté, il a rappelé que « Moissac et les environs sont le premier bassin arboricole de France, sans oublier nos éleveurs ». Mais l’enthousiasme laissait vite place à la colère face aux réalités du terrain : « Malheureusement, s’y ajoutent les contraintes climatiques, économiques et aussi toutes ces contraintes énormes, absurdes et injustes pondues par les technocrates de l’Union européenne et de nos ministères bien zélés », a-t-il dénoncé.
Pour lui, la réponse passe par la transmission et l’éducation au goût : « Notre rôle, c’est de vous valoriser, vous, les producteurs, instruire au bien manger, en particulier les enfants, au bon goût, au vrai, à l’authentique, au beau ». Et de conclure par un hommage appuyé à ceux qui font vivre la terre : « Vos métiers sont parfois ingrats, assurément difficiles, mais ô combien essentiel à notre nation. » Un appel sans détours à reconnaître et soutenir ce monde agricole qui, au-delà du chasselas, façonne l’identité moissagaise.
Prenant le relais, Claude Gauthier, président du Syndicat de défense du Chasselas AOP, a replacé le fruit emblématique au centre du débat, saluant le travail minutieux des producteurs tout en alertant : « Le métier devient de plus en plus difficile, voire dangereux. Gels, grêle, chaleur, retraits de produits… » Dans la foule, certains hochaient la tête. Les agriculteurs savent bien que derrière les sourires de fête, les réalités sont plus dures.
Enfin, Marie Castro, vice-présidente de la Région Occitanie, a élargi la perspective en soulignant que l’Occitanie, première région agricole d’Europe, compte plus de 250 produits sous signes de qualité. Elle a insisté sur le sens profond de ce week-end : « Nous sommes là pour célébrer un travail acharné, la qualité de nos fruits, vins et saveurs, et cette identité occitane construite autour du bien vivre et du bien manger. »

















Déambulations et tarte au chasselas : la gourmandise au rendez-vous
Entre deux discours, les allées vivaient au rythme des déambulations : musiciens, danseurs de l’association des Cambalaïres, producteurs installés derrière leurs étals de fruits, de miels, de vins et autres douceurs du terroir. Et surtout, moment attendu par tous les gourmands : la dégustation de la tarte au chasselas. Trois boulangeries moissagaises avaient uni leur savoir-faire pour proposer cette douceur sucrée, symbole d’un patrimoine culinaire qui rassemble autant que les discours.
Les files s’allongeaient, les parts disparaissaient vite, et chacun y allait de son commentaire, sourire aux lèvres. Là aussi, le chasselas s’imposait, non plus comme emblème ou sujet de débat, mais comme simple plaisir partagé.



Une fête qui dit beaucoup plus qu’elle ne montre
La Fête des fruits et saveurs a offert son lot de rires, de déambulations et de gourmandises. On a dansé, on a croqué dans la tarte au chasselas, on a applaudi les fresques et caressé les museaux des bêtes. Mais derrière les sourires et les musiques traditionnelles, une vérité s’impose : le monde agricole tout entier vacille.
Éleveurs réduits à quelques exploitations, viticulteurs confrontés aux aléas climatiques, arboriculteurs menacés par la concurrence internationale… Les voix entendues à Moissac rappellent que ce patrimoine, reconnu et envié bien au-delà du Tarn-et-Garonne, n’a rien d’acquis. Il faudra plus que des symboles, plus que des discours, pour que ces savoir-faire continuent à vivre.
En repartant avec une grappe, une part de tarte ou un souvenir, chacun avait sans doute en tête cette question : dans dix ans, y aura-t-il encore assez de mains pour nourrir, élever et cultiver ce trésor collectif ?
À Moissac, on ne se contente pas de fêter le chasselas. On célèbre aussi une identité agricole multiple, faite de fruits, de bêtes et de terres, qu’il faudra protéger comme on protège un héritage. Un fil d’or qui relie les générations, fragile, mais tenace, que l’on garde dans le creux de la main en espérant qu’il brille encore longtemps.
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