
La scène est devenue tristement familière. Vous terminez vos courses, vous vous approchez de la caisse, vous souriez et dites « Bonjour », prêt à ranger vos articles… lorsque tombe la question, aussi banale qu’intrusive : « Vous pouvez ouvrir votre sac, s’il vous plaît ? »
Parfois dite avec bienveillance, parfois sur un ton autoritaire, cette demande instille chez beaucoup un malaise discret. Comme si le simple fait de porter un sac à dos, un cabas ou une besace faisait de vous un voleur potentiel. Mais aujourd’hui, elle mérite d’être questionnée.
Une obligation ? Pas vraiment.
Ce réflexe « sécuritaire » s’est imposé dans nos routines sans réel questionnement. Pourtant, aucune obligation légale n’impose au client de se soumettre à une telle requête.
La législation est sans ambiguïté. Un agent de caisse n’a pas le droit d’exiger l’ouverture de vos affaires personnelles. L’association UFC-Que Choisir rappelle que « cette pratique n’est pas de la responsabilité d’un employé non habilité ». Quant aux agents de sécurité, ils ne peuvent agir qu’à condition d’être agréés, formés et porteurs d’une carte professionnelle délivrée par le CNAPS, conformément à l’article L613-2 du Code de la sécurité intérieure. Et même dans ce cas, l’inspection doit rester strictement visuelle avec votre accord, se dérouler dans l’enceinte du magasin, et être justifiée par un contexte de sécurité : plan Vigipirate, risques avérés de vol.
Une fouille complète ? Elle est interdite sans votre accord, sauf dans le cadre d’une perquisition menée par un officier de police judiciaire, en vertu de l’article 56 du Code de procédure pénale.
Le consentement contraint ou l’illusion du choix
Malgré cette base juridique claire, de nombreux clients se conforment à cette demande, parfois sans oser refuser, par crainte d’un conflit, d’un regard accusateur ou d’être mal vus. Pourtant, refuser est un droit.
Un refus ne constitue ni une infraction, ni un motif de rétention. Un agent de sécurité ne peut pas vous retenir contre votre volonté. Il peut, au plus, appeler les forces de l’ordre. Dans ce cas, seul un officier de police judiciaire est habilité à procéder à une vérification. Et si aucune infraction n’est constatée, vous ne risquez rien.
En cas d’abus — fouille injustifiée, pression indue — il est possible de saisir le Défenseur des droits, autorité indépendante chargée de garantir le respect des libertés individuelles.
Un climat de suspicion normalisé
Au-delà de la légalité, il y a ce que cette pratique dit de notre société qu’il convient d’interroger. En demandant systématiquement à un client d’ouvrir son sac, on l’assimile implicitement à un suspect. On substitue à la présomption d’innocence une présomption de méfiance.
Ce geste, répété quotidiennement dans des milliers de supermarchés, infantilise le consommateur, le pousse à se justifier, à coopérer à tout prix pour ne pas troubler un ordre implicite. Refuser d’ouvrir son sac devient presque subversif, comme si revendiquer son droit devenait suspect en soi.
Une vigilance citoyenne
Cette pratique est le reflet d’un glissement plus large : celui où la sécurité prend le pas sur la liberté, où la prévention justifie l’intrusion. Mais à force de tout vouloir encadrer, surveiller, contrôler… on oublie une chose essentielle : la dignité. La confiance. Le respect de la sphère personnelle, même dans un lieu public.
Il ne s’agit pas ici de défendre une forme d’anarchie consumériste, ni de nier les enjeux que représente la lutte contre la démarque inconnue. Il s’agit, plus simplement, de rappeler que la dignité, la liberté et le respect de la sphère privée ne s’effacent pas sous les néons d’un supermarché.
Refuser d’ouvrir son sac n’est pas un acte de rébellion, mais une affirmation tranquille de ses droits. Et surtout, de son statut de citoyen dans un espace marchand.
Et maintenant ?
Il est temps de reconsidérer ces gestes qui paraissent anodins, mais qui, à force d’être répétés, produisent une atmosphère de soupçon généralisé.
Non, ce n’est pas au client de prouver sa probité. Non, ce n’est pas à lui de s’excuser d’exister dans un espace public, avec un sac sur l’épaule.
Et si l’on remettait un peu de confiance dans nos sacs… et dans ceux qui les portent ?
Pour ne rien manquer de nos prochaines publications, n’hésitez pas à vous abonner à notre page Facebook.