
Il nous reçoit dans son bureau, une semaine à peine après la rentrée. Le ton est posé, mais les dossiers qui s’empilent sur la table disent assez la densité du moment. Cyril Le Normand, directeur académique des services de l’Éducation nationale (DASEN), résume son cap en deux verbes simples, répétés comme un refrain : « repérer, accompagner ». Repérer les fragilités, accompagner les enfants, les familles, les enseignants.
Cette rentrée, il le sait, est « sensible ». Sensible parce qu’elle s’invite en pleine année électorale. Sensible parce qu’elle met à nu la fragilité de certaines écoles rurales. Sensible enfin parce qu’elle doit répondre à de nouveaux défis : inclusion, santé mentale, harcèlement, portables omniprésents, égalité filles-garçons. Le tout avec les moyens qu’on voudra bien lui donner.
Sérignac respire, Gensac retient son souffle
Première épine : la carte scolaire. Sujet hautement inflammable dans nos villages, où l’école est souvent le dernier bastion du vivre-ensemble. « Nous avons rouvert une classe à Sérignac », annonce le DASEN. Bonne nouvelle, certes. Mais à Gensac, les effectifs fondent. « Il reste très peu d’élèves. Vraiment très peu. »
Derrière la formule, une réalité : la fermeture semble inévitable. Mais qui ira annoncer cela en pleine campagne municipale ? « Tous les candidats veulent conserver leur école, ça fait partie de leur projet », explique Cyril Le Normand, lucide sur le poids symbolique des écoles rurales. Reste une équation à résoudre : redistribuer les élèves entre Esparsac, Lavit et Beaumont-de-Lomagne, sans casser ce qui reste du maillage éducatif. Une gymnastique politique autant que pédagogique. « Il faut réussir à rationaliser pour solidifier le maillage scolaire sur un horizon de trois ans », résume le DASEN.
Inclusion : les Pôles d’Appui à la Scolarité, une petite révolution
Mais la rentrée ne se résume pas à des fermetures. Elle inaugure aussi une petite révolution silencieuse : la création de deux PAS, pôles d’appui à la scolarité, qui remplaceront progressivement les PIAL (Pôles inclusifs d’accompagnement localisés). L’un à Saint-Antonin-Noble-Val, un territoire très rural ; l’autre à Olympe-de-Gouges, un territoire urbain, éducation prioritaire.
Le principe ? Associer deux ministères. Un enseignant spécialisé (Éducation nationale) et un éducateur (ARS). « C’est inédit. On n’avait jamais eu deux professionnels de deux ministères différents dans la même école », souligne Cyril Le Normand, visiblement fier de ce dispositif « expérimenté dans trois départements seulement » qui doit couvrir, à terme, tout le département.
Ensemble, ils devront repérer plus tôt les difficultés des élèves à besoins éducatifs particuliers (EBEP), qu’il s’agisse de handicap, de troubles de l’apprentissage ou de situations familiales compliquées. Et surtout, accompagner rapidement : adaptation d’emploi du temps, orientation vers le médico-social, aide aux démarches des parents souvent perdus dans les formulaires de la MDPH. « Parfois, les familles ne font même pas les dossiers. Là, on pourra les aider », insiste-t-il.
Santé mentale : les séquelles du confinement
Autre nouveauté : la mise en place de référents santé mentale dans chaque collège et lycée. Deux adultes par établissement – enseignants ou CPE – recevront une formation spécifique. Leur rôle ? Repérer les signaux d’alerte, écouter, orienter.
« On a des jeunes qui vont mal, parfois encore à cause du confinement », rappelle Cyril Le Normand. Isolement, anxiété sociale, décrochage : la crise sanitaire a laissé des traces profondes. Le DASEN insiste : « L’objectif n’est pas de médicaliser l’école. C’est d’accompagner et de repérer, » d’éviter que la souffrance reste invisible. Des fiches standardisées, des numéros d’urgence affichés, un coordonnateur départemental : autant de briques pour construire un filet de sécurité dans un département où, bonne nouvelle, une nouvelle médecin scolaire à temps plein vient d’être recrutée.
Harcèlement : 86 % des établissements labellisés
Le DASEN se montre plus serein sur ce terrain. « Je ne suis pas peu fier », dit-il. En effet, 86 % des établissements du département sont désormais labellisés “Phare” contre le harcèlement. Une avancée qu’il attribue au travail d’Emmanuel Lopez, coordinateur départemental. « Dans chaque établissement labellisé, il y a une équipe formée, des élèves ambassadeurs, et même des parents mobilisés », explique-t-il. Son objectif ? « Atteindre les 100%. »
Les signalements sont plus nombreux qu’avant – mais c’est, paradoxalement, un signe de progrès. « Autrefois, on ne disait rien. Aujourd’hui, le signalement est obligatoire. On passe rarement à côté d’une situation. »
Portables : l’exemple de Lauzerte fait école
Qui aurait parié que Lauzerte deviendrait une vitrine nationale ? Dans son petit collège, l’expérimentation des valises à téléphones a porté ses fruits : moins d’incidents, plus de sérénité, et des parents convaincus qu’il ne servait plus à rien d’envoyer le portable à l’école.
« On n’a eu aucun incident l’année dernière, alors qu’il y en avait eu plusieurs auparavant », insiste le DASEN. Bien qu’il y ait eu dans chaque académie plusieurs établissements test, « Lauzerte a été précurseur parce qu’on a eu cette ambition avant même que l’expérimentation soit mise en place au niveau national. C’est quelque chose qu’on avait déjà discuté avec le chef d’établissement. »
Mais il nuance : ce qui marche à Lauzerte, petit collège, ne peut s’appliquer tel quel ailleurs. Dans les collèges plus grands, d’autres dispositifs – housses verrouillées ou cages de Faraday – seront nécessaires. Reste que le message est clair : limiter la place du portable pour retrouver « le lien ». Ça a un coût, mais certains établissements peuvent investir. Pour les autres, on réfléchira avec le conseil départemental », ajoute-t-il.
Transmission des valeurs communes : entre classes défense et rallyes citoyens
Dans un contexte politique tendu, Cyril Le Normand insiste sur la transmission des valeurs communes. Liberté, égalité, fraternité, mais aussi respect, laïcité et mémoire, « ce qui constitue un pays et pour cela, on s’est appuyé sur l’armée. »
Les classes défense – 18 dans le département aujourd’hui – associent enseignants et militaires pour parler stratégie, géopolitique, esprit de défense. Les rallyes citoyens mêlent associations, collectivités et armée autour de thématiques variées, de l’écologie à la mémoire. Sans oublier l’école des jeunes porte-drapeaux, mise en place par l’ONAC-VG et sa directrice Aline Simon.
« L’objectif est que les élèves aient un vocabulaire commun, qu’ils comprennent ce qui nous unit », résume le DASEN, qui rappelle que la mixité – sociale et scolaire – est au cœur de ces dispositifs.
Filles et maths : casser le plafond de verre
Autre cheval de bataille : l’égalité filles-garçons dans les matières scientifiques. Trop souvent, les lycéennes abandonnent la spécialité maths en terminale, malgré de meilleurs résultats que leurs camarades masculins. « C’est dès la maternelle que ça se joue, dans les mots, dans les attentes », note Cyril Le Normand.
Le département, promis à un avenir scientifique avec le projet Occirail, la ligne LGV, Golfech ou le futur hôpital de Montauban, ne peut se priver de talents féminins. Un plan départemental prévoit donc formations pour enseignants, actions auprès des familles et suivi renforcé des élèves. Objectif : briser les stéréotypes et convaincre les filles qu’elles sont aussi légitimes que les garçons dans les filières scientifiques.
Le DASEN Tour : renouer avec le terrain
Enfin, Cyril Le Normand compte renouveler son « Dasen tour », ces réunions itinérantes organisées dans plusieurs communes. L’idée : rencontrer directement les élus, écouter, expliquer, clarifier. « Un enfant de campagne doit avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs qu’un enfant de ville », répète-t-il.
Dans un département contrasté, à la fois rural et urbain, entre quartiers sensibles et villages qui se vident, cette équité territoriale reste son fil rouge. « C’est en tenant un discours clair et transparent qu’on avance », assure-t-il, conscient que l’année électorale compliquera parfois les dialogues.
« Repérer, accompagner »
À l’issue de l’entretien, deux mots restent dans l’air, comme une petite devise pédagogique et humaine : repérer et accompagner. Repérer les fragilités, accompagner les enfants. Repérer les souffrances, accompagner les familles. Repérer les inégalités, accompagner les enseignants et les élus.
Au fond, c’est peut-être ça, la mission d’un DASEN dans un département comme le Tarn-et-Garonne : jongler entre contraintes budgétaires, réalités sociales et passions locales, tout en gardant le cap sur une idée simple, mais exigeante.
Et l’on se dit, en quittant ce bureau chargé de dossiers, que ces deux mots – repérer, accompagner – pourraient bien s’appliquer aussi à nos villages eux-mêmes, tant ils en ont besoin.
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